Qui aurait cru qu'un jour le volume du sein d'un homme et celui
d'une femme seraient mis dans la balance de la justice d'une
cour ontarienne, dans une cause défendant l'égalité de l'homme
et de la femme. Tel un caricaturiste, à l'oeil perçant, Mark Bellis
nous croque en quelques coups de crayon, avec un humour
mordant et un style caustique, les aberrations d'une société et
de personnages pris au piège de leur propres contradictions.
dans un hebdomadaire ontarien. L'auteut y défendait une étudiante de l'Université de Guelph. La demoiselle
aurait enlevé son T-shirt, par une chaude journée
d'été, alors qu'elle marchait en ville et se serait fait arrêter.
J'ignorais à l'époque que, dans les nouvelles nationales,
elle était déjà célèbre d'est en ouest, comme «la-fille-qui-aôté-
sa-chemise» !
C'est ainsi qu'en octobre je me suis rendu à une conférence
de presse à l'université, où cette Gwen Jacob devait parler.
Arrivé en retard, j'ai vu en entrant dans la salle une
femme sans expression, avec le regard de Margaret Thatcher
et la voix monocorde de Margaret Atwood. Je m'attendais
un peu à cela. Un style de féministe stéréotypé.
Mais à côté d'elle se trouvait une très jolie jeune fille, assez
petite, aux longs cheveux blonds et raides. Là, je fus surpris
: c'était Jacob.
L'histoire se lit comme suit :
Fondée par l'écrivain écossais John Galt, la petite ville de
Guelph se trouve à cent kilomètres à l'est de Toronto. Galt
était un administrateur de la Canada Company chargé de la
colonisation de cette région au début du 19e siècle. Il a
conçu la ville dans le style Paris de l'après-Révolution,
avec de larges avenues, en forme d'étoile à cinq branches.
On y retrouve, au centre, une grande église bâtie d'après
l'architecture de Notre-Dame de Paris, entoutée des grands
châteaux des riches et des petits bungalows en pierre grise
des ouvriers. Au Square St-George, au centre-ville, la
communauté italienne a fait cadeau à la ville de la statue
d'une famille nue. Et l'on dit que, lorsque la Gouverneure
générale du Canada, madame Jeanne Sauvé, l'a dévoilée,
elle a fait un pas en arrière, sous le choc. Cette statue porte
la mention «La famille est un des chefs-d'oeuvre de la Nature
». Très controversée au Conseil municipal, cette statue
sera même mentionnée au procès de Gwen Jacob. Elle est
composée d'un père qui porte à bout de bras une mère qui
elle-même soutient un enfant dans ses mains. Le tout dans
une position qui m'a toujours fait penset à un jeu de basketball où la mère compte des buts avec l'enfant ! Et je ne
suis pas le seul...
Des petits malins ont récemment coiffé la
tête du bébé d'un ballon de basket.
Séparée du centre-ville par les rivières Speed et Eramosa,
l'université se dresse sur une colline. La rue Gordon
descend de la colline. Et c'est ici que le 18 juillet, Gwen
Jacob a fait quelque chose de très inhabituel. Il faisait
chaud, elle marchait de l'université à son lieu de travail,
sans son T-shirt. Cela ne lui posait apparemment pas de
problèmes, mais on m'a dit que ce jour-là, la circulation
était un peu plus lente que d'habitude. Le lendemain, il
faisait encore plus chaud. Les seins nus, elle refaisait le trajet.
Le policier Robert M. s'est arrêté au feu rouge à l'intersection
de Gordon. Il a vu passer devant sa voiture une
jeune fille en short mais sans T-shirt. Il l'a suivie et l'a arrêtée
devant une maison. Il lui a demandé une pièce d'identité.
Elle a refusé et lui a demandé la sienne. Il a renchéri
et lui a demandé de remettre son T-shirt. Elle a refusé et a
salué le policier Elle a marché jusqu'au parc qui borde la
rivière Speed et s'est arrêtée pour parler avec des inconnus
et en particulier avec un entraîneur de natation, Alan F.
Gwen Jacob a quitté le parc, traversé la rivière, et est renttée
dans le quartier pauvre de «The Ward», entre les rivières
Speed et Eramosa. Sur la rue Ontario, elle a croisé à
nouveau Alan, en train de faire des réparations sur sa maison.
Elle a parlé quelques minutes avec lui, quand Diane
P., 44 ans, est sortie, furieuse, de la maison d'en face : «Eh
bien ! on verra si elle aura encore ses nichons à l'air dans
quelques minutes !», a-t-elle lancé, outrée, aux voisins.
Son mari, qui l'avait suivie, ajoute : «Eh ! tourne-toi donc
que je puisse voir s'ils sont mieux que ceux de ma femme
!».
Les policiers qu'on vient det lui a demandé de remettre son T-shirt. Elle a refusé et a
salué le policier Elle a marché jusqu'au parc qui borde la
rivière Speed et s'est arrêtée pour parler avec des inconnus
et en particulier avec un entraîneur de natation, Alan F.
Gwen Jacob a quitté le parc, traversé la rivière, et est renttée
dans le quartier pauvre de «The Ward», entre les rivières
Speed et Eramosa. Sur la rue Ontario, elle a croisé à
nouveau Alan, en train de faire des réparations sur sa maison.
Elle a parlé quelques minutes avec lui, quand Diane
P., 44 ans, est sortie, furieuse, de la maison d'en face : «Eh
bien ! on verra si elle aura encore ses nichons à l'air dans
quelques minutes !», a-t-elle lancé, outrée, aux voisins.
Son mari, qui l'avait suivie, ajoute : «Eh ! tourne-toi donc
que j e puisse voir s'ils sont mieux que ceux de ma femme
!».
Les policiers qu'on vient d'appeler arrivent. Ils demandent
à Jacob de se rhabiller. Elle refuse. On menace de l'arrêter.
Elle rétorque que si un homme a le droit de marcher
sans chemise, elle ne voit pas pourquoi elle ne l'aurait pas
elle aussi. On la menace à nouveau d'arrestation si elle ne remet pas son T-shirt. Elle refuse. On l'arrête.
Gwen Jacob est formellement accusée, par deux fois,
d'avoir commis un «acte d'indécence» selon l'article 173
du code criminel. «Une pour chaque sein ?», demande-telle.
Non. Une accusation portée à la suite de deux plaintes
: celle de Mme P. et celle de la police de Guelph elle-même.
L'affaire Jacob démarre dans les médias. Très photogénique,
quoique petite, les cameramen la prennent toujours
en contreplongé, ce qui lui donne un aspect menaçant.
Elle fait la tournée des émissions radiophoniques de lignes
ouvertes. Son nom est souvent mal écrit «Jacobs», et malgré
le fait que sa famille soit francophone, Radio-Canada
prononce son nom à l'anglaise.
Les médias la bombardent de questions ridicules.
Un reporter du Thompson Newspaper lui demande : «Qu'est-ce
que cela vous fait d'avoir les seins les plus connus au Canada
». Une journaliste de C B C lui demande à la sortie de la
cour si elle a exposé ses seins pour le «fun». Jacob explose :
«pour le «fun» ?? Pensez-vous que je me sois faite arrêter
pour le «fun» ?? Le cameraman regarde la journaliste avec
dégoût.
Avoir commis un acte d'indécence est un délit mineur.
Le procureur lui offre de laisser tomber les accusations si
elle promet de ne plus marcher les seins nus. Elle refuse, en
disant que la Couronne ne peut pas promettre qu'il n'y
aura plus de belles journées ensoleillées.
Les cours de l'Ontario étant surchargées, le procès traîne
pendant deux mois, soit quatre séances de une ou deux
heures, débutant le 15 novembre.
Une femme comparaît juste avant Jacob. Dans la quarantaine,
elle est accusée du vol de deux soutiens-gorges.
Elle plaide coupable. Quand elle a été arrêtée elle avait
plus de neuf cents dollars dans son sac. Selon son avocat,
elle faisait une dépression.
Suit l'affaire Jacob. L'avocat de la défense, Jeffrey
Wright, est grand et il porte une moustache blonde-rousse.
Le procureur de la Couronne, Owen Haw, est lui aussi
blond, et s'exprime avec un fort accent anglais. Le juge
Bruce Payne, dont le nom se prononce précisément comme
«pain» (douleur en anglais) est encore un moustachu
au teint rouge-brique. Derrière lui, on peut voir sur le mur
les armes du Canada, arborant cette devise : «Honni soit
qui mal y pense».
Je me demande si je suis le seul à remarquer l'incongruité
de la scène et à connaître l'origine de cette déclaration
attribuée à un roi anglais : un jour, un courtisan aurait
laissé tomber de sa poche une jarretelle. Tout le monde aurait
éclaté de rire. Mais le roi qui pensait que ce n'était pas
un acte d'indécence, aurait rabroué ses sujets pat ces paroles.
La défense présente ses témoins qui affirment ne pas
être choqués par les actions de Jacob. La couronne présente
les siens qui affirment l'être. La plaignante, Mme P., affirme
qu'exposer publiquement des seins féminins est «totalement
dégoûtant», mais elle pense que les spectacles des
danseuses de strip-clubs, qu'elle admet avoir fréquentés,
sont acceptables, car «c'est leur boulot».
Anne S., une voisine, dit dans son témoignage : «si Jacob
avait été violée...». «Cela aurait été de sa propre faute
?» demande Wright. «Bien sûr» répond-elle !
Pendant ce temps, Jacob est assise à côté de moi. Elle
lit mes notes, rit des témoins, fait des clins d'oeil et des signes
à ses amis et lance à la ronde : «Je m'amuse comme
une folle !».
On l'appelle à la barre. Elle dit qu'elle a le même droit
qu'un homme d'exposer ses seins : «Je demande des droits
égaux, pas additionnels». Elle se défend contre la Couronne
avec esprit et le sourire aux lèvres. Le procureur est petit,
sans menton, avec un grand nez pointu qui soutient des
lunettes sans monture. Il courbe le dos. Jacob a un visage
rectangulaire, avec une mâchoire solide, un nez retroussé
et de petits yeux verts un peu bridés. Elle se tient bien
droite. Pendant l'examen du procureur, on imagine un
Bull-Terrier avec un rat.
La défense affirme que s'il y a une différence entre les
seins d'un homme et ceux d'une femme, elle n'est pas physiologique.
C'est plutôt la différence de taille et de forme.
La Couronne demande à Jacob :
«Ne croyez-vous pas que le sein féminin est un organe
qui se développe après la puberté ?
— Ce n'est pas un organe, c'est une glande. Les organes
ne se développent pas après la naissance, répond-elle.
— Où avez-vous appris cela ?
— Au cours de santé, en douzième année
— Ah ! à l'université ?
— Non, en douzième année de l'école secondaire»
Le procureur de la Couronne de l'Ontario ne semble
pas connaître le système d'éducation de la province où il
pratique.
On appelle un autre témoin. C'est un avocat sikh, barbu
et enturbanné, dénommé T.Sher S. Il est connu comme
militant des droits civils. Lui aussi, est souvent invité à des
émissions de lignes ouvertes. Résident de Guelph, il dit
avoir vu Jacob marcher les seins nus alors qu'il rentrait du
travail. Il dit avoir pensé qu'elle essayait de faire la preuve
de l'égalité de l'homme et de la femme. C'est l'interprétation
de fond qu'il a fait de quelque chose qu'il n'a pu voir
que quelques instants, à travers le pare-brise de sa voiture.
C'est pourquoi, affirme-t-il, il n'aurait pas d'objection à ce
que sa fille de treize ans fasse comme Jacob. Par contre, il
dit avoir été très offensé quand sa fille, qu'il avait envoyé
acheter des journaux, est rentrée avec un exemplaire du
Toronto Sun. Ce journal publie toujours en page trois la
photo d'une belle fille en bikini. T.Sher S. brandit ladite
page trois devant la cour et déclare être vraiment choqué qu'une fille de treize ans puisse achetet de pareilles choses
à Guelph. Mais il est lui même souvent interviewé par The
Sun et il est très improbable qu'un avocat torontois ne
connaisse pas le contenu de ce journal...
Le juge Payne lui demande de faire circuler le journal,
et la photo d'une jolie blonde en short est insérée au dossier
de la preuve.
L'avocat T. Sher S. et Jacob dénoncent l'exploitation
du corps de la femme dans les médias et dans la publicité, et
Jacob veut même interdire les strip-clubs, en disant que les
danseuses qui font leur boulot influencent les attitudes de la
société envers la femme. Or, même s'il sont tous les deux politically
correct, ils aident beaucoup la Couronne, quand ils affirment
qu'exposer des seins féminins est indécent. Jacob n'aime pas que son avocat mentionne Playboy et
Penthouse comme exemples de cas où l'étalage de photos de
femmes nues est accepté par la société. En effet, l'association
des étudiants de l'université, dont Jacob est membre de
l'exécutif, a interdit la vente de ces magazines en affirmant
qu'ils transformaient la femme en objet.
Depuis son arrestation, Jacob est soutenue par un groupe
de féministes, qui utilisent l'affaire pour promouvoir
leurs idées. Le féminisme en Ontario est calqué sur le plus
radical des modèles américains. Des écrivains vicieusement
anti-homme comme Andrea Dworkin sont présentées dans
les cours d'études féminines comme de grands penseurs. On
y étudie aussi les dernières inventions des pseudo-religions
du New Age, telles que la crystalthétapie, la pratique de la
sorcellerie, ou l'adotation de la «Great Goddess», que l'on
présente comme des mystères très anciens, si anciens
d'ailleurs que l'histoire n'a gardé aucune trace de ces pratiques.
Jacob m'a très sérieusement affirmé que les sorcières
existent, et qu'à l'instar de ses supportets, elle s'habille de
pourpre, l'ancienne couleut du féminisme. En cour, ses
amies, que je surnomme les jacobines, ressemblent à des raisins
de Californie.
Lors de l'une des séances, Jacob lit une carte commemorative
du massacre de Polytechnique, dont l'anniversaire est
célébré en Ontario comme une fête religieuse. Les hommes
doivent porter des brassards blancs pour s'excuser de l'horreur
de cet événement. Heather Menzies, écrivain d'Ottawa,
a même dénoncé les survivantes du massacre parce
qu'elles n'ont pas aidé les féministes dans leurs efforts pour
humilier les hommes.
Jacob porte aussi un pendentif en argent massif, le
symbole biologique de la femme,qu'elle a reçu en cadeau
et qu'elle suce innocemment.
La défense commet une autre erreur lorsqu'elle cite
comme témoin un éditorialiste du Daily Mercury, le quotidien
local de Guelph. Rolph Peterson y a écrit un éditorial
défendant Jacob. Mais le procureur lui demande de commenter
les résultats d'un sondage téléphonique organisé
par son journal. Les répondants ont massivement condamné
le geste de Jacob. Un monsieur qui se lamentait sur le
déclin de la moralité au Canada a demandé, par exemple,
que Jacob soit marquée au fer rouge.
Le juge Payne passe la fête de Noël à peser les arguments
des parties et rend sa décision le 17 janvier. Il ne
croit pas à l'égalité entre les seins des femmes et les seins
des hommes, et dit que ceux qui y croient ne vivent pas
dans la réalité. Cette déclatation de bon sens est diffusée à
travers le pays par la presse canadienne. Le cas est même
rapporté dans le journal d'un petit pays du Sud de l'Afrique,
le Swaziland, où les Zoulous s'amusent sans doute des pratiques
bizarres des Blancs qui interdisent aux femmes de marcher
les seins nus.
Le juge condamne Jacob à soixante-quinze dollars
d'amende, en citant les remarques insultantes qu'elle a faites
à la presse hors cour. Jacob n'hésite pas à dire aux médias
son mépris du juge, de la Couronne et de son propre
avocat, mais elle déclare à ses copines : «Nous devrions aussi
faire un procès aux médias».
L'avocat de la défense est accablé par la décision, lui
qui, au début, était si sûr de gagner sa cause. Ignoré de tout
le monde, il reste assis à sa place, immobile et tête baissée,
tandis que Jacob est entourée de médias et d'amies qui l'embrassent
longuement devant les reporters.
En sortant de la Cour, elle déclare aux médias : «Je me
fous de ce que dit le juge, je me fous de ce système patriarcal
», et elle ajoute : «Je ne peux pas croire que le juge puisse
être aussi sexiste. C'est une violation de mon droit à la
liberté de parole. Je ferai certainement appel».
Après le procès, je me retrouve au restaurant avec une
autre journaliste de C B C et les jacobines. L'une d'entre elles
déclare aux journalistes que les «hommes ne sont pas
tous mauvais. Il y en a, poutsuit-elle, qui réclament l'abolition
de ce système patriarcal». Dans sa bouche, cela ressemble
à un compliment. Une autre femme vêtue de pourpre
se lance dans une diatribe contre les pauvres hommes
qui portent ces rubans blancs : «Ce n'est pas assez. Peutêtre
ne les portent-ils que pour impressionner les filles !».
Jacob veut faire appel, mais la Cour a déjà rejeté l'argument
selon lequel les seins de l'homme et ceux de la
femme sont égaux en vertu de la Charte canadienne des
droits et libettés. Dans le procès d'un homme accusé de
violence sexuelle parce qu'il avait frappé les seins d'une
femme, la cour avait refusé de réduire l'accusation à la violence
simple, comme cela aurait été le cas si l'agressé avait
été un homme. Or, dans sa décision, le juge Payne a déclaré
que, dans certains cas, le sein d'un homme pouvait faire
l'objet de poursuite. Ainsi, Gwen Jacob, a réussi à exposer
les hommes à des poursuites, elle qui disait au début qu'elle
n'avait cherché qu'à se mettre à l'aise !
Originaire de Montréal, Mark Bellis, 31 ans, est correspondant à Guelph pour le Toronto Sun
et la Société Radio-Canada.